Soirée-Débat « Laïcité et Religions »
Vendredi 9 décembre 2016
Intervention de Isabelle KERSIMON – Journaliste et Écrivaine
Ce soir du 9 décembre à Nantes, le CLR44 a réuni des laïques engagés dans la réflexion et dans les actions à conduire pour protéger la laïcité, victime de toutes les ignorances et accusée de tous les maux (arme contre les religions et spiritualités, « islamophobie »1, cause du djihad). L’urgence est donc de réaffirmer avec force la laïcité, de réaffirmer la Fraternité républicaine, de ne pas céder aux passions du « buzz », mais d’en appeler aux indispensables lumières de la Raison. Ne pas céder non plus aux sirènes de cette « nouvelle Fraternité » que l’on veut nous imposer comme un produit de notre nouvelle Modernité et qui se joue principalement autour d’une alliance islamo-chrétienne visant à étendre à tout l’Hexagone le Concordat d’Alsace-Moselle, mais aussi autour de la mouvance brun-rouge portée par Alain Soral et Dieudonné et qui contribue largement au confusionnisme actuel
Le but de ma conférence était donc d’identifier de manière précise les phénomènes contemporains qui mettent en péril cette fondation de l’édifice République démocratique. Il a été question de ses ennemis au plan international : la société « inclusive » et multiculturaliste anglo-saxonne, qui n’est pas la coexistence fraternelle dans la France multiculturelle et la République une et indivisible, et ses « accommodements raisonnables » qui consistent à reconnaître en droit des lois religieuses comme supérieures aux lois civiles ; l’alliance russo-iranienne en défense des « religions traditionnelles » et, sans nul doute, des régimes autoritaires et persécuteurs ; l’État islamique, ses soutiens et ses combattants, qui nous assassinent au nom de leur haine de la démocratie et de la laïcité, valeurs jugées impies et diaboliques. Il a été question aussi de ses adversaires au plan national : les tenants du dialogue « interreligieux », les intégristes musulmans, les intégristes chrétiens contre l’IVG…
Ce rapide panorama des ennemis de la laïcité s’accompagnait aussi ce soir-là de trois questions fondamentales : Que s’est-il passé ces dernières décennies qui a conduit à un tel péril ? Que défendent les laïques et pour quels idéaux sont-ils prêts à engager un bras de fer politique ? Quelle vigilance accorder aux discours qui instrumentalisent la laïcité (laïcité adjectivée d’un côté, laïcité comme paravent de la xénophobie de l’autre) ?
Il était nécessaire, en conséquence, de définir l’intégrisme comme le fait d’utiliser une religion aux fins d’influer sur la vie politique, sociale et sociétale de notre pays ; et de rappeler que la laïcité n’est pas une religion, ni un athéisme, mais la fondation même de notre République et la garantie de sa cohésion. Cette vérité est d’autant plus cruciale à rappeler de nos jours que nombre de ses ennemis l’accusent d’être une défense de l’athéisme ayant pour finalité de réduire à néant les spiritualités humaines, et par voie de conséquence, l’histoire des civilisations. L’extrême droite est là aussi en embuscade, qui veut abattre l’universalisme des Droits de l’homme.
À propos d’intégrisme, j’ai pris pour exemples les Frères musulmans2 d’un côté, et la militance catholique de l’autre – rappelant à cette occasion qu’une représentante politique n’a pas à afficher ses convictions confessionnelles sur une chaîne publique lors d’une campagne électorale. Comment lutter contre l’intégrisme des Frères musulmans en France si l’on admet, si l’on défend cela au motif que « les catholiques n’ont tué personne », que « les chrétiens sont persécutés en terres d’Islam » ou que « notre identité judéo-chrétienne » a un droit de prééminence ?
J’ai rappelé cette spécificité de mes travaux sur le concept d’islamophobie et, en particulier, sur le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) et ses rapports avec les Frères musulmans, dont la stratégie politique appuyée sur la popularité médiatique de Tariq Ramadan – qui a introduit ce concept dans l’espace politique français en 1997 – a connu ses premiers succès en 1989. J’ai rappelé aussi qu’il est erroné d’analyser la stratégie des Frères musulmans comme un complot musulman qui menacerait à lui seul la laïcité. L’Opus Dei, par exemple, a les mêmes ambitions et la même stratégie que les intégristes musulmans. J’ai tenu à rappeler également que ces intégristes-ci en France ne doivent pas être confondus avec les combattants armés de l’État islamique, cette confusion engendrant non seulement des analyses contre-productives, mais également une surtension anxiogène qui génère des choix politiques dangereux et un racisme anti-arabe décomplexé. Un risque existe, et l’on entend déjà des discours antiparlementaires, anti-intellectuels, vibrant aux appels d’un nationalisme vengeur.
Ces précisions faites, j’ai rappelé que le voilement des femmes est toujours la première mesure prise par les islamistes au sens strict (c’est-à-dire les partis et gouvernements dans les pays à majorité musulmane, qui gouvernent ou ambitionnent de gouverner selon des lois religieuses islamiques dans leur lecture littérale, fondamentaliste, rigoriste). C’est aussi le combat principal des Frères musulmans et leurs alliés en France, qui œuvre depuis 2003 à faire abroger les lois de 2004 (interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école) et 2010 (interdiction de dissimuler le visage dans l’espace public).
Il a été question de l’enseignement du « fait religieux » à l’école, une mesure que je n’approuve pas, estimant que les questions œcuméniques concernent les religieux qu’elles intéressent. Si le dialogue interreligieux est intéressant, il ne doit en aucun cas supplanter la réflexion et l’action laïques. Je pense au contraire qu’il faut développer l’apprentissage de la laïcité et son histoire, ainsi, pourquoi pas, que l’histoire des religions et spiritualités dans le monde depuis la Préhistoire. Une objection a été formulée, troublante : le risque chez certains élèves d’affirmer par suite une identité religieuse qu’ils n’avaient pas revêtue. Je réfute aussi le concept de « retour du religieux », considérant que nous traversons plutôt ce que j’appelle un « ancrage des intégrismes » qui s’étend avec d’autant plus de facilité que la sphère médiatique est en crise, se souciant peu de déontologie et accordant tous les crédits à des personnalités antilaïques favorisant toutes les confusions, de Valeurs actuelles à Mediapart.
Deux participantes ont exprimé une même préoccupation : Nantaises, elles sont confrontées, comme l’est en réalité la France entière, au voilement accru des femmes et même des fillettes. Je pense qu’il faut lutter contre le voilement des fillettes au nom de la protection de l’enfance et de la liberté de conscience, et que cette lutte urgente doit être examinée par des juristes. J’ai précisé à l’occasion que le CCIF ou l’UOIF (fédération des organisations islamiques de France liée aux Frères musulmans) n’étaient pas nécessairement impliqués dans ces réalités locales décrites, car il existe nombre d’associations non affiliées à l’UOIF et d’autres courants que les Frères musulmans s’employant à invisibiliser le Féminin. Je faisais référence au « salafisme » et au mouvement Tabligh, par essence opposés aux Frères musulmans. J’ai engagé ces dames à me fournir plus d’informations dans les jours qui viennent et/ou à enquêter sur les personnalités et associations à l’origine de ces voilements. J’ai rappelé mon opposition à l’accompagnement scolaire par des mères voilées, manière d’instiller à doses homéopathiques une banalisation du voilement.
Nous étions ce soir-là du 9 décembre tous concentrés sur la défense de notre laïcité, celle que le monde nous envie, que les opprimés du monde entier appellent de leurs vœux. Car dans bien des pays du monde, notre laïcité représente l’espoir d’une émancipation réelle et pérenne pour toutes les minorités, et pour les femmes qui se battent pour leurs droits et pour l’égalité. Nous avons célébré nos convictions, nos valeurs et notre devise : Liberté – Égalité – Fraternité. Nous avons interrogé notre héritage humaniste, indissociable d’une République sociale, et les conditions de sa transmission, notamment grâce à l’action laïque en faveur de la Culture.
1 Ce concept a été forgé par les intégristes islamistes, non pas pour défendre les musulmans, mais pour susciter une confusion entre la dénonciation de l’intégrisme et le racisme anti-arabe, qui serait un supposé racisme antimusulman.
2 Les Frères musulmans sont une confrérie politico-religieuse née en Égypte en 1928, essentiellement représentée en Europe par Tariq Ramadan.